Samedi 16 octobre 2021. Jour et nuit. Blanc et noir. Lumière et ténèbres.
Deux moments.
Tout d’abord la joie. Le mariage d’un neveu. Au nord-est de Paris, dans un beau prieuré. Les sourires, les rires. Les souvenirs de l’enfance, de l’adolescence, si proches, si loin. Des larmes aussi, de bonheur. L’émotion des parents et d’une sœur aux jolis mots. L’amour au grand jour, éclatant, évident. Une autre bonne nouvelle: un autre neveu, bientôt papa. Le week-end parfait. L’amour, la naissance en ce jour. Le cycle de la vie, dans ce qu’elle a de plus beau.
La tristesse ensuite. Retour de Paris. Coup de fil en soirée. Le décès d’une tante, dans une autre partie de la famille. 25 ans de lutte contre ce fichu crabe. Le chagrin, les larmes. Des souvenirs aussi. Les parties de foot avec les cousins dans le jardin de la ferme familiale. Les séances de cache-cache entre les ballots de paille. La bienveillance de mon oncle et de ma tante. Souvenirs d’enfance, tendres et précieux. Mais le deuil en ce jour. Le cycle de la vie, dans ce qu’elle a de plus cruel.
Cela fait cinq ans aujourd’hui, jour pour jour, que Papa, Papy nous a quittés, emporté par la maladie. Cinq ans déjà. Son absence nous pèse toujours autant, mais la douleur du chagrin a laissé place à des souvenirs plus doux, aux souvenirs des bons moments passés tous ensemble. Il nous a laissé un bel héritage affectif. Il n’avait pas toujours un caractère facile, mais il était capable de s’émerveiller pour de petites choses : le retour du printemps dans le jardin, le chant des oiseaux le matin ou un beau concert de musique, celui du nouvel an viennois par exemple, qu’il n’aurait manqué sous aucun prétexte. Boulanger, il n’avait pas peur du travail, mais il aimait aussi rigoler, bien manger, boire un verre, danser, s’amuser tout simplement.
J’aurais tellement voulu qu’il soit là pour l’obtention du diplôme de Droit de Valentine, pour son séjour au Canada et pour sa spécialisation aux Pays-Bas, lui qui aimait ce qui était « juste » ; pour l’entrée à l’université de Maxime qui a choisi la géographie, lui qui était curieux du monde ; pour la spécialisation en Histoire de Thomas, lui qui aimait se plonger dans les livres d’histoire, surtout ceux consacrés aux deux dernières guerres mondiales ; pour la confirmation de la réussite professionnelle d’Ornella comme esthéticienne, lui qui aimait porter beau. Il aurait été fier de ses petits-enfants, je crois, sans le crier sur tous les toits. Il n’avait fait que ses « moyennes » comme il disait, mais il s’intéressait à beaucoup de choses. Il nous a légué son esprit de curiosité, je pense.
Il avait à peine 22 ans lorsque je suis né.
Il s’est passé tellement de choses en cinq ans. C’est à la fois long et court. Lors d’une balade à la côte belge en famille, quelques années avant son décès, il avait eu cette réflexion qui m’a marqué. Il se souvenait de la première fois qu’il avait vu la mer, gamin, et il nous avait dit : « on se retourne et toute une vie est passée ».
Cinq ans déjà. Le temps file. L’anniversaire de la disparition de papa, de papy, nous ramène à l’essentiel de l’existence : l’amour de ses proches, les bons moments passés en famille ou avec des amis autour d’un repas, d’un verre ou au cours d’une balade ; le reste est accessoire finalement, comme le rappelle encore cruellement la crise sanitaire que nous traversons.
Avec maman, lors d’une fête avec des amis.
Avec ses deux sœurs et son frère. Il ne reste plus que Marie-Jeanne aujourd’hui, ma tante Nounou. René et Bernadette ont rejoint Papa.
La mort de Felice Gimondi m’a touché. Le cycliste italien fait partie des coureurs mythiques de mon enfance. Gimondi l’Italien, Ocana l’Espagnol, Poulidor le Français, Zoetemelk le Hollandais et Merckx, le Belge. Des champions racés, que j’admirais. Evidemment Eddy était mon préféré. Le préféré de mon père aussi. Papa ne jurait que par Merckx. Lorsque nous partions en famille en excursion, un jour de course, il fallait trouver un bistrot avec une télévision pour suivre l’arrivée en direct. Je me souviens de la dernière étape d’un Tour de France suivie depuis un restaurant de la côte belge. J’ai encore dans les yeux les bras levés de toute l’équipe Molteni sur les champs Elysées pour célébrer la victoire finale du « cannibale ». Les équipiers étaient aussi heureux que leur leader. Cela m’avait impressionné.
Merckx, c’était aussi des réunions de famille animées. Avec un oncle français qui ne jurait que par Poulidor et Thévenet, un oncle flamand qui préférait Roger De Vlaeminck à Merckx et papa bien sûr, qui n’avait que Merckx dans la bouche. Il y a des souvenirs heureux comme la victoire d’Eddy au Paris-Roubaix de 1973 où il avait lâché Roger De Vlaeminck à plus de 40 km de l’arrivée. Et d’autres, nettement moins réjouissants comme le Tour de France de 1975 où Bernard Thévenet avait devancé notre champion : le gamin de 10 ans que j’étais avait été pleurer derrière l’atelier de la boulangerie familiale en tapant frénétiquement dans un ballon de foot.
Mon premier col lors d’une balade avec mon père dans les Alpes-de-Haute-Provence. Papa était derrière l’objectif. Ce n’était pas encore l’époque des selfies.
Si papa s’est mis au cyclotourisme, c’est en grande partie, à mon avis, grâce à Eddy Merckx. Il obligeait mon frère et moi à le suivre le dimanche matin après nous avoir réveillés à l’aurore en ouvrant sans délicatesse les rideaux de notre chambre. Une bonne école de vie avec de beaux souvenirs comme notre découverte des Alpes-de-Haute-Provence à vélo lors de vacances familiales à la Motte-du-Caire. Une fois que Merckx a pris sa retraite, Papa a continué à rouler, mais il n’a plus jeté qu’un œil distrait sur les courses à la télévision. Le roi Eddy est resté mon idole. J’avais même les photos de ses exploits collés sur les fardes de mes cours dans les premières années de mes humanités. Et aujourd’hui encore je garde le virus des balades à vélo.
La disparition de Felice Gimondi me ramène à cette belle époque. J’ose à peine imaginer quelle sera mon émotion lorsque le grand Eddy ne sera plus de ce monde…
J’ai décidé de publier les textes d’hommage que mon frère Bruno et moi avons lus lors des funérailles de papa à l’église de la Roë (Péruwelz) le samedi 26 décembre 2015. Laisser une trace écrite est une façon de le garder dans nos mémoires. Il est parti beaucoup trop tôt, à l’âge de 72 ans, lui qui croquait la vie à pleines dents et qui avait encore plein de projets en tête. Tu nous manques tellement, papa.
En débarrassant une armoire, dans la perspective de travaux de peinture à la maison, j’ai retrouvé de vieilles photos et d’anciens articles. Parmi les documents: un texte que j’ai rédigé au décès de ma grand-mère maternelle. Cela fait dix ans cette année. Je voudrais vous le faire partager tant cette femme, qui parlait peu pourtant, était formidable:
« C’est une page de mon enfance qui s’est tournée avec le décès de mon dernier grand-parent. Mémère Elsa, comme la famille l’appelait, est allée rejoindre Pépère Auguste, un jour gris de septembre. Elle avait 93 ans, mais elle est toujours restée fidèle à l’image que je m’étais forgée d’elle dans la force de l’enfance. C’était une grand-mère rêvée pour tous les gamins du monde: disponible, souriante et apaisante. Je la vois encore, sur le pas de sa porte, dans son tablier à carreaux bleus, nous saluer mon frère et moi, après quelques jours passés chez elle. Elle avait de l’élégance, ma grand-mère, le regard clair, le sourire franc et le buste droit.
En à peine un mois, nous avons perdu les trois derniers lapins qui nous avions à la maison: la maladie, le froid, la vieillesse? Je n’en sais rien. Mais toujours est-il que les enfants, même adolescents, en ont éprouvé du chagrin. J’ai retrouvé un texte que j’avais écris à la naissance de deux de nos trois lapins. C’était il y a cinq ans : Valentine nous tannait pour avoir une Nintendo DS.
Voici le texte qui a été publié dans les « Propos du Dimanche » (Nord Eclair) du 18 mai 2008, sous le titre « Lapins plus forts que la Nintendo DS »:
Mon petit Max, tu es avec ta sœur ce qui m’est le plus cher, mais pourtant un jour, j’ai failli t’oublier. Ou plutôt j’ai cru t’avoir oublié un matin, dans ton lit, alors que tu avais à peine six mois. L’angoisse est montée d’un coup, comme la vague d’un tsunami, en fin d’après-midi, à l’heure du bouclage, entre un reportage et un coup de fil passé à un collègue: plus moyen de me souvenir si je t’avais bel et bien conduit à la crèche, comme tous les jours au matin. Je ne me rappelais plus si j’avais posé les gestes habituels: te sortir du lit, te donner ta première panade, te changer, te confier Mickey en attachant le maxi-cosy sur le siège arrière avant de prendre la route jusqu’à la rue de l’Amour, la bien nommée, où se situait ta crèche.