Merci au prof du « cours d’esthétique »

Ce dimanche, un jour de tempête, je suis allé visiter le musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut à Villeneuve d’Ascq. C’est la première fois que je m’y rendais alors que le LaM – c’est son diminutif – est à vingt minutes de voiture à peine de Tournai. Marie-Christine tenait absolument à voir l’exposition exceptionnelle consacrée à Paul Klee. Le peintre allemand n’est pas tellement ma tasse de thé, mais la visite a suscité chez moi une pensée et une réflexion.

L’exposition consacrée à Paul Klee a attiré de très nombreux visiteurs.

Une pensée tout d’abord. Une pensée pour un professeur que j’ai connu lors de mes humanités à l’Institut Saint-Charles de Péruwelz. Ignace Mariage consacrait une heure de son cours de français à l’étude de l’art. Le cours d’esthétique, disait-on à l’époque. C’était tous les vendredis dans la seule pièce de l’école munie d’un projecteur de diapositives. Certes parfois je m’assoupissais parce que c’était la fin de la semaine, mais si aujourd’hui, je peux distinguer un peintre cubiste d’un impressionniste, une colonne ionique d’une colonne dorique ou encore un Picasso d’un Modigliani, c’est grâce au cours d’esthétique. Ignace Mariage a initié des générations d’étudiants à l’art sans jamais porter de jugement de valeur. Et si encore aujourd’hui, je pousse la porte d’un musée avec l’esprit en éveil, c’est grâce à ce professeur passionné qui a parcouru le monde entier, appareil photo en bandoulière, pour partager son amour pour l’art.

Paul Klee, c’est surtout forme et couleur.

Ma réflexion porte, elle, sur le projet de rénovation et d’extension du musée des Beaux-Arts de Tournai auquel j’ai consacré un article pour Nord Eclair. Il est temps que ce formidable écrin créé par Victor Horta retrouve tout l’éclat qu’il mérite. Des expositions comme celle que le Lam consacre à Paul Klee auront évidemment toute leur place dans un musée remis aux normes internationales.

C’était jour de tempête, ce dimanche, avec un temps à ne pas mettre un canard dehors, mais le musée de Villeneuve-d’Ascq, pourtant à l’écart de Lille, était rempli de visiteurs au point qu’on se marchait un peu sur les pieds. Tournai mérite d’être aussi attractive. Je suis impatient de découvrir le musée des Beaux-Arts new look avec sa partie contemporaine que mon ancien professeur de français n’aurait ni jugée, ni reniée.

L’exposition est intitulée « entre-mondes ».

A quoi ça sert la culture, nom d’un chien?

En Flandre, le gouvernement présidé par le N-VA Jan Jambon a décidé de supprimer jusqu’à 60% des subsides alloués à la culture et au patrimoine. Ce n’est pas propre à la Flandre, car la culture est souvent le premier secteur qui trinque lorsqu’il s’agit de faire des économies d’échelle.

Mais finalement à quoi ça sert la culture, l’art sous toutes ses formes? J’ai eu la réponse il y a quelques semaines juste en face de mon bureau à Nord Éclair sur la Grand-Place de Tournai. Un jeune Roumain avait sculpté, dans le tas de sable qu’il transportait avec lui, un chien. Un chien plus vrai que nature au point que mes collègues et moi avons cru de notre fenêtre qu’il s’agissait d’un véritable animal en chair et en os destiné à apitoyer les passants pour une petite pièce.

Les passants s’arrêtaient bien pour une petite pièce, mais en plus ils l’assaillaient de questions : d’où venait-il ? Où avait-il appris à sculpter? N’était-il que de passage? Où dormait-il? Savait-il sculpter autre chose que des chiens? Le Roumain répondait en fronçant les sourcils. Il ne maîtrisait ni le français, ni l’anglais. Moi-même j’ai tenté d’en savoir plus pour un article dans le journal. Un passant italien a tenté de m’aider, l’italien et le roumain étant relativement proches, mais en vain…

Il n’est resté qu’une journée mais quel succès.

Je crois que le jeune SDF ne voulait pas trop en dire. Cela ne l’a pas empêché d’avoir un sacré succès si on en juge le petit récipient noir qui, devant son oeuvre éphémère, se remplissait à vue d’œil de petites pièces et même de quelques billets. Dès qu’il avait suffisamment d’argent, il se précipitait à la boulangerie du coin pour un sandwich, une couque au chocolat ou un café chaud. Le boulanger était tellement séduit par son talent qu’il refusait de se faire payer.

Avec son chien de sable, le jeune Roumain a récolté bien plus de bienveillance que tous les SDF de la Grand-Place réunis. Car hélas, les Tournaisiens – mais cela ne leur est pas propre – ne font pas toujours preuve de beaucoup d’indulgence à l’égard des mendiants et des sans-abris, de plus en plus nombreux ces dernières années sur le forum de la cité.

Avec son chien de sable, le jeune Roumain a réussi à capter l’attention, à susciter l’enthousiasme, à faire parler les passants entre eux, à faire renoncer un commerçant à son dû, à provoquer des sourires, à faire oublier qu’il était un étranger…

Alors, ça sert à quoi la culture? Ça sert à quoi l’art, nom d’un chien? A apaiser les hommes et les âmes. Et ça n’a pas de prix…