Poèmes de l’extrême nord et de l’extrême sud

Deux textes, deux poèmes qui nous viennent de deux pays aux antipodes.

Le premier est celui que Nelson Mandela lisait dans sa prison d’Afrique du  Sud pour se donner la force de lutter. Il est du poète William Ernest Henley (1875). On a eu l’occasion de le redécouvrir lors de la sortie du film Invictus, réalisé par Clint Eastwood:
Hors de la nuit qui me recouvre,
Noire comme un puits d’un pôle à l’autre,
Je remercie les dieux,
Quoi qu’ils puissent être
Pour mon âme indomptable.
Prisonnier des circonstances,
Je n’ai pas gémi ni pleuré à voix haute
Sous les coups de la fortune,
Je suis debout bien que blessé.
Au-delà de ce monde de colère et de pleurs,
Ne plane que l’Horreur de l’ombre.
Et pourtant, la menace du temps
Me trouve et me trouvera sans peur.
Aussi étroit soit le chemin,
Bien qu’on m’accuse et qu’on me blâme,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.

Le deuxième a été lu en public en 2011 sur une place de Norvège après la tragédie qui a coûté la vie à 77 personnes, victimes du terroriste d’extrême droite Anders Behring Breivik. C’est un poème de 1936 qui a animé les résistants norvégiens pendant la deuxième guerre mondiale:
Voici notre promesse,
Entre frères,
Nous prendrons soin de
ce monde des hommes
Nous prendrons soin
de sa beauté,
de sa chaleur
Comme on le fait pour un bébé
que l’on berce doucement
Dans nos bras

C’est la force de la poésie: faire surgir l’humanité au bout du désespoir.

 

Des boîtes d’antidépresseurs à la figure

Mercredi matin, une lectrice a franchi la porte de la rédaction de Nord Eclair Mouscron complètement furieuse. Elle a même renversé, plutôt violemment, sur le bureau de notre assistante d’édition un sac rempli de boîtes de médicaments, vides, qui étaient des antidépresseurs et des calmants. Elle était tellement énervée qu’elle a eu du mal à expliquer l’objet de son courroux : un article qui faisait état d’une sordide affaire de viol. Son nom n’était pas cité, ni son adresse, mais des voisins l’ont apparemment reconnue et ont « aimablement » glissé l’article dans sa boîte aux lettres. J’ai pensé à une erreur ou à une maladresse d’un journaliste, cela peut arriver, mais non l’auteur de l’article avait fait correctement son travail : il a tout simplement relaté une séance du tribunal correctionnel de Tournai en publiant les différents points de vue, celui de l’avocat de la défense qui représente les intérêts de l’auteur du délit et celui du Procureur du Roi qui prend la parole au nom de la société. Un compte-rendu, comme on dit dans le jargon journalistique, sous le titre « tribunal ». La dame ne pouvait pas comprendre que l’affaire s’était retrouvée dans le journal, dans le nôtre mais aussi dans ceux de la concurrence. Elle était accompagnée d’une amie qui partageait son incrédulité. L’assistante d’édition et moi-même eûmes beau essayer, au moins trois fois, de leur expliquer calmement que les séances du tribunal correctionnel étaient publiques et ouvertes à la presse, que l’anonymat avait été respecté, rien n’y faisait. Elles restaient persuadées qu’un protagoniste de l’affaire était passé par la rédaction pour nous raconter l’histoire à laquelle nous avions accordé du crédit sans vérifier et sans la plus élementaire prudence.

Je pouvais comprendre la colère de la dame qui est une victime dans ce dossier. Elle ne peut émotivement pas avoir le recul nécessaire. Mais j’ai été sidéré par son manque de connaissance de la procédure judiciaire. Son amie et elle semblaient pourtant des personnes instruites, l’une’étant même une artiste à ses heures, mais le fonctionnement de la justice et de la presse semblait complètement les dépasser. La dame, victime, ne s’était même pas constituée partie civile. Et elle ne s’était pas renseignée sur la date du procès, ni sur celle du jugement à venir. Je les ai invitées à se rendre au palais de justice où des assistantes d’aide aux victimes pouvaient les prendre en charge, les soutenir, vérifier si elles avaient été correctement informées de la procédure, etc, mais elles n’avaient pas l’air de prendre mon conseil au sérieux. C’était dans le journal et, par conséquent, c’était la faute du journal.

Ce n’est pas la première fois qu’un journaliste se fait engueuler, et ce n’est sans doute pas la dernière, mais cette affaire invite à la modestie. Avec la multiplication des sources et des réseaux d’information, on a parfois le sentiment que nos contemporains savent tout sur tout, qu’ils n’ignorent plus rien du fonctionnement de la presse, de la justice, de la politique, etc. bref de la démocratie. Mais non, il faut sans cesse expliquer, vulgariser. Expliquer encore. Et encore. Sous peine de se prendre à nouveau des boîtes d’antidépresseurs et de calmants à la figure.