Faits divers, mots à maux

Coup de fil délicat à la rédaction de Nord Eclair Mouscron ce vendredi: une jeune femme nous a supplié de ne pas évoquer dans le journal le suicide de son frère survenu dans la matinée. Le jeune désespéré s’est hélas jeté sur les voies de chemin de fer à la hauteur d’Estaimpuis. Il était difficile d’accéder à la demande de sa sœur, parce que le drame s’est joué sur la voie publique avec une mobilisation très importante des services de secours et, pour conséquence, une immobilisation de la ligne ferroviaire pendant de nombreuses heures. Nous n’avons pas pour habitude d’évoquer le suicide d’une personne lorsque celui-ci survient dans un cadre privé, excepté si c’est une personnalité connue, mais lorsqu’il se déroule dans un cadre public, c’est le rôle de la presse régionale d’en évoquer les conséquences.

La jeune femme- et c’est compréhensible, vu la douleur qui l’étreignait – avait du mal à entendre nos explications. Elle a même eu des mots assez durs à notre égard. C’est vrai : les faits divers sont une composante importante d’un quotidien de proximité. On peut ne pas les apprécier, mais ils renvoient à notre condition humaine, entre vie et mort, ce qui explique sans doute leur popularité depuis que la presse existe. Je dis toujours : ce n’est pas l’abondance des faits divers qui fait la qualité d’un journal populaire, mais la manière dont on les traite. Beaucoup ne seront sans doute pas d’accord avec moi, mais je peux assurer que la plupart de mes collègues cherchent toujours à les traiter avec humanité. Pour le suicide de la voie ferrée, en accord avec mon jeune collègue qui s’en occupait, nous avons décidé d’en faire le strict minimum : l’évocation des faits et de ses conséquences en quelques lignes. Mais je ne crains que de toute façon, les mots, nos mots, ne seront toujours que des maux pour les victimes d’un tel drame. Notre métier n’est pas facile tous les jours.

Au chemin des morts

sentier.jpgCe vendredi après-midi, je me suis rendu au chemin des… morts. Drôle de nom pour un sentier bucolique qui mène de Leers-Nord (Belgique) à Leers (France). L’explication remonte bien avant l’existence de la Belgique, lorsque les habitants de Leers-Nord devaient emprunter ce chemin pour enterrer leurs défunts au cimetière qui se trouvait de l’autre côté de ce qui allait devenir la frontière franco-belge. « Un sentier d’au moins 240 ans à valeur historique et patrimoniale », m’a certifié le riverain qui m’a convié là-bas. Mais ce n’est pas pour parler du patrimoine local que je me suis rendu au chemin des morts. Le riverain voulait dénoncer la disparition du sentier… recouvert de terre et cultivé – enterré, si on peut dire – par le cultivateur des parcelles voisines. Plus possible pour les promeneurs et les joggeurs de l’emprunter pour gagner la France. Le citoyen en question, un alerte quinquagénaire en tenue sportive, a alerté la commune et le conseiller écolo du coin.Il  a même déposé plainte auprès de la police. Il va probablement obtenir gain de cause car l’agriculteur a été mis en demeure par la commune de remettre ce sentier en état.

Étonné par la détermination de certains citoyens, mais parfois agacé

Je suis toujours étonné par la détermination de certains citoyens, souvent retraités ou proches de la retraite, à défendre leur patrimoine local. Ici un sentier, ailleurs un arbre élagué par les services communaux ou un coin de campagne « menacé » par la réalisation d’une dalle de compostage, la construction d’une éolienne ou d’un mât de télécommunication. Étonné, souvent admiratif, mais parfois aussi, je ne le cache pas, agacé, car le  « partout ailleurs, excepté dans mon jardin » – le fameux syndrome Nimby (Never in my backyard) – n’est jamais très loin. D’accord pour les GSM, mais surtout pas d’antenne près de chez moi. Ok pour les énergies renouvelables, mais pas d’éoliennes qui gâchent la vue depuis mon jardin. D’accord pour des rivières propres, mais surtout pas de station d’épuration au bout de ma rue.

Il m’arrive de me poser des questions quant au rôle du journaliste qui sert d’amplificateur ou de caisse de résonance à des revendications particulières contre un intérêt collectif. N’a-t-on pas tendance à se précipiter? Ce n’est nullement le cas, je le précise, de mon riverain du chemin des Morts dont le souci, n’a-t-il cessé de me répéter, est avant tout patrimonial et historique. D’ailleurs, m’a-t-il fait remarquer dans un haussement d’épaules, les autres riverains s’en foutent… Ils font le mort.