Poèmes de l’extrême nord et de l’extrême sud

Deux textes, deux poèmes qui nous viennent de deux pays aux antipodes.

Le premier est celui que Nelson Mandela lisait dans sa prison d’Afrique du  Sud pour se donner la force de lutter. Il est du poète William Ernest Henley (1875). On a eu l’occasion de le redécouvrir lors de la sortie du film Invictus, réalisé par Clint Eastwood:
Hors de la nuit qui me recouvre,
Noire comme un puits d’un pôle à l’autre,
Je remercie les dieux,
Quoi qu’ils puissent être
Pour mon âme indomptable.
Prisonnier des circonstances,
Je n’ai pas gémi ni pleuré à voix haute
Sous les coups de la fortune,
Je suis debout bien que blessé.
Au-delà de ce monde de colère et de pleurs,
Ne plane que l’Horreur de l’ombre.
Et pourtant, la menace du temps
Me trouve et me trouvera sans peur.
Aussi étroit soit le chemin,
Bien qu’on m’accuse et qu’on me blâme,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.

Le deuxième a été lu en public en 2011 sur une place de Norvège après la tragédie qui a coûté la vie à 77 personnes, victimes du terroriste d’extrême droite Anders Behring Breivik. C’est un poème de 1936 qui a animé les résistants norvégiens pendant la deuxième guerre mondiale:
Voici notre promesse,
Entre frères,
Nous prendrons soin de
ce monde des hommes
Nous prendrons soin
de sa beauté,
de sa chaleur
Comme on le fait pour un bébé
que l’on berce doucement
Dans nos bras

C’est la force de la poésie: faire surgir l’humanité au bout du désespoir.

 

Le monde et « le Monde »

En rangeant ma bibliothèque, je suis tombé sur un livre qu’on m’avait offert pour un anniversaire. Un recueil au titre télégraphique: « Les grands reportages, 1944-2009, Le Monde, 100 récits exceptionnels ». L’ouvrage reprend 100 reportages qui ont marqué l’histoire du journal. Avec des plumes célèbres: Jean-Claude Guillebaud, André Fontaine, Bertrand Poirot-Delpech, etc. Le Monde: « la » référence du journalisme. Le rêve ultime pour le journaliste qui débute, même si aujourd’hui, comme m’a dit un jeune collègue, ce n’est plus ce que c’était.

A vue de nez, chaque récit fait au maximum 5.000 signes. Une ineptie pour le journalisme du XXIe siècle, dont la mode est au court. La légende raconte que le premier rédacteur en chef du Monde disait à ses journalistes de faire « long et ennuyant ». Long peut-être, mais ennuyant, certainement pas pour chaque récit du recueil qui se lit comme un mini-roman, excepté que les personnages ne sont nullement imaginaires ou fictifs. La « vraie » vie, souvent abrupte comme « l’histoire d’une famine en Ethiopie » (1974) de Jean-Claude Guillebaud ou encore « cent mètres de trottoir à Calcutta » du même journaliste, à qui mon professeur d’analyse de presse écrite à l’UCL, Gabriel Ringlet, vouait un véritable culte. Le monde n’est pas que le terrain de chasse de ces repor-terre(s). Ils racontent aussi les faits divers, les tribunaux ou le sport. Un petit bijou que ce récit de la victoire de Carl Lewis lors du 100 m des  Jeux Olympiques de Los Angeles (le Diable et le bon Dieu, 1984). Ou l’art de raconter 9,9 secondes. Ce recueil, que je redécouvre, c’est l’Histoire à travers les petites histoires.

La lecture de « Un trou dans le rideau de  fer » (1989), qui raconte les mois qui ont précédé la chute du mur de Berlin, me rappelle une petite histoire, une anecdote. A l’époque, j’étais étudiant en journalisme. Plusieurs copains de fac sont partis à Berlin en voiture à l’annonce de la chute du mur. Je le regrette encore aujourd’hui, mais pour je ne sais quelle raison, j’avais refusé de les accompagner pour vivre ce moment historique. J’aurais pu être un de ces raconteurs d’histoire que j’admire ici. Mais mes amis m’ont ramené un bout du mur, quelques gravats, que j’ai posés sur la commode familiale comme on exhibe un trophée. Le week-end suivant, après une semaine de kot à Louvain, le bout du mur n’y était plus. La femme de ménage était passée par là. Elle avait cru à un vulgaire gravat tombé d’un mur de la maison et posé là négligemment. Mon morceau d’histoire a terminé à la poubelle.