De la campagne électorale pour le scrutin communal qui se termine demain dimanche, je retiens un moment fort en tant que journaliste : la conversation que j’ai eue avec une dame d’origine africaine sur le marché de Leuze-en-Hainaut. Je l’invitais à monter dans la camionnette que Sudpresse avait aménagée pour son opération « moi, bourgmestre » qui consistait à demander aux citoyens ce qu’ils feraient pour leur commune s’ils en devenaient le bourgmestre
Mon interlocutrice était intriguée lorsque je lui expliquais le but de ma démarche. « Et on peut dire ce qu’on veut? Vraiment? » « Le bourgmestre ne va rien dire si je parle? Ou la police? » La dame m’a confié qu’elle était citoyenne leuzoise depuis trois mois à peine. Je ne lui ai pas demandé si elle était une réfugiée, mais manifestement dans son pays d’origine, les citoyens n’ont pas l’habitude de prendre la parole pour critiquer le pouvoir en place ou plutôt ont peur de la prendre. Elle a fini par accepter de participer à notre opération, mais à la sortie de la camionnette, elle était toujours inquiète : « vous êtes sûr que le bourgmestre ne va rien dire? » Sa critique de la commune n’était pourtant pas bien méchante : elle souhaitait davantage de terrains de jeux où son gamin pourrait jouer au foot. Je l’ai rassurée et elle est partie en souriant, heureuse, je crois, d’avoir pu donner son avis.
L’anecdote est pour moi parlante. En dépit de tous les défauts que peuvent présenter la Belgique et de manière globale tous les pays d’Europe occidentale, nous avons quand même la chance de vivre dans une démocratie où nous avons encore la liberté de parole, où nous pouvons encore critiquer, parfois très violemment, les gens qui nous gouvernent. C’est bon de s’en souvenir alors que selon un sondage récent, un quart des jeunes Flamands de 18 à 21 ans se demandent si la démocratie est un si bon système que cela. Je crains hélas que la même enquête donnerait le même résultat auprès des jeunes Wallons. J’entends souvent, même dans mon entourage proche, des gens vanter les vertus d’un pouvoir fort à la Poutine ou à la Erdogan. S’ils vivaient en Russie ou en Turquie, je ne suis pas sûr que leurs principales préoccupations seraient la propreté dans les rues, l’état des routes ou le fait de pouvoir trouver facilement une place de parking. Car c’est bien ce qui est revenu le plus fréquemment dans la bouche des citoyens interrogés dans le cadre de notre opération « moi, bourgmestre » : propreté, mobilité, sécurité. Dans cet ordre le plus souvent.
Ce sont des problématiques importantes, voire essentielles, dans la vie d’une commune. Mais quel luxe de pouvoir discuter de ces thèmes-là qui doivent apparaître bien anodins à un habitant d’un pays où les libertés individuelles sont restreintes. C’est la démocratie, pas le moins mauvais des systèmes, comme je l’entends parfois, mais le meilleur, qui le permet. A force de baigner dedans, on a presque oublié ses vertus. C’est peut-être bon de le rappeler avant de voter demain.
Ce dimanche, en glissant mon bulletin dans l’urne, c’est au sourire de la dame africaine que je penserai…