De retour de vacances, j’ai parcouru les journaux que mon voisin a gentiment gardés pendant deux semaines. L’actualité qui a défrayé la chronique cet été à Tournai : les 530 réfugiés politiques qui sont attendus à la caserne Saint-Jean d’ici à la fin de l’année. J’ai eu honte en lisant les premières réactions de mes concitoyens et des responsables politiques. J’ai même eu la nausée en lisant les commentaires sur les réseaux sociaux des journaux en ligne auprès desquels j’ai complété mon information. Les journalistes de la RTBF radio se sont même fendus d’un communiqué sur leur page Facebook pour prendre distance avec ce qu’ils lisaient sur leur site ou entendaient sur leur antenne.
J’ai pensé à mon ami syrien et à sa famille qui nous ont reçus, mon épouse, mes deux enfants et moi, comme des princes lors de notre passage à l’ouest de Londres, où ils habitent, lors de nos deux derniers jours de vacances en Grande-Bretagne. Que penseraient-ils, que diraient-ils s’ils lisaient la haine qui sévit sur le web à l’annonce de l’arrivée des réfugiés, parmi lesquels très certainement un très grand nombre de leurs compatriotes qui ont fui la guerre? J’ai honte pour eux. J’ai mal pour eux.
La Belgique doit prendre sa part d’humanité
Bien sûr réunir 530 candidats à l’asile politique, de nationalités différentes, au même endroit, ce n’est pas l’idéal pour le vivre-ensemble, pour la cohabitation harmonieuse. Je peux comprendre les réticences, les inquiétudes. Il aurait été préférable de les répartir dans différentes villes pour faciliter l’intégration. Mais l’État belge avait-il vraiment le choix devant ce qui est, pour rappel, une situation d’urgence vu le flux massif et quotidien de personnes en détresse? Seule, l’Italie ne peut pas faire face. Au nom de la solidarité européenne, la Belgique se doit de prendre « sa part de misère ». Des termes que je n’aime pas trop. J’écrirais plutôt « sa part d’humanité ».
Je peux comprendre les réticences, les inquiétudes, mais pas la haine. Les petits moustachus du web s’en sont hélas donnés à cœur-joie, à cœur-haine, serait-il plus juste d’écrire. Certains voient même dans les derniers vols dans la cité des Cinq Clochers la marque des réfugiés, alors que les premiers ne sont pas encore… arrivés à l’heure où j’écris ces quelques lignes. Je ne m’étendrai pas sur les autres considérations haineuses que j’ai lues afin de ne pas leur faire de la publicité malgré moi. Avec leur part d’islamophobie, de contre-vérités, d’amalgames douteux et de raccourcis débiles. Évidemment la plupart des commentaires se font sous le couvert de l’anonymat avec comme photo de profil, la photo de leur animal de compagnie. Pauvres bêtes.
Derrière chaque réfugié se cache un être humain tout simplement
Mais que feraient ces semeurs de haine si leur famille et eux-mêmes vivaient dans un pays en guerre, dans la misère extrême et sous la menace permanente? Ils fuiraient probablement comme ont fui de nombreuses familles belges sur les routes de France lorsque les nazis ont commencé à bombarder leurs villes. L’exode, c’était il y a 75 ans à peine. On a tendance à l’oublier. Par pudeur, mon ami Hussam ne s’est pas trop étendu sur le calvaire vécu par sa famille restée en Syrie. Mais il m’en a dit suffisamment pour que je devine l’effroi lorsqu’on ne sait ni où, ni quand vont tomber les bombes, ni même de quel camp elles ont été lancées. Par bonheur, grâce à son travail, il a pu faire obtenir à ses enfants, son épouse et lui-même la nationalité britannique. Fini les attentes interminables pour un visa. Fini les files vexatoires dans les aéroports. Il en sait aujourd’hui plus sur la Reine d’Angleterre que n’importe quel britannique au chapeau melon grâce à un parcours d’intégration dont feraient bien de s’inspirer d’autres pays européens. Il espère aujourd’hui faire venir sa maman, dont il peut assurer lui-même la subsistance, mais le Royaume-Uni est réticent.
Derrière chaque réfugié se cachent une famille déchirée, des drames irréparables et des blessures secrètes. Derrière chaque réfugié, se cache un être humain tout simplement. Bien sûr je ne sombre pas dans un angélisme béat: il y aura probablement à Tournai quelques problèmes, qu’apporte inévitablement tout groupe d’êtres humains quelle que soit leur nationalité, leur religion ou leur origine. Et je croise les doigts pour que le moindre fait ne soit pas trop grossi: il en va aussi de la responsabilité de la presse. C’est par le dialogue uniquement qu’on parviendra à atténuer les éventuels soucis.
Tendre la main, c’est aussi dans notre intérêt
Heureusement il n’y a pas que les petits moustachus du web à Tournai et en Wallonie picarde. Il y aussi des citoyens qui ont proposé spontanément leur aide, comme ce chanteur qui invite les Tournaisiens à parrainer un réfugié. Ou comme la fête inter-culturelle de la plate-forme d’accueil pour l’intégration des étrangers qui se déroulera en décembre à la caserne Saint-Jean. Les associations se mobilisent. J’entends enfin le monde politique local, bourgmestre de Tournai en tête, se réveiller après avoir tenu des propos pour le moins discutables: il envisage de mobiliser les jeunes à travers des séances d’information dans les écoles, ce qui est une bonne idée. Je me répète: ce n’est que par l’échange, le dialogue et le respect réciproque qu’on parviendra à faire en sorte que cela se passe le mieux possible. Prôner le contraire, c’est dresser un mur d’incompréhensions, de malentendus et, par conséquent, creuser un fossé de problèmes. Tendre la main, ce n’est pas que dans l’intérêt des réfugiés, c’est aussi dans le nôtre.
C’est un coup de gueule que j’ai voulu pousser à travers ces quelques lignes. Je vais sans doute passer pour un incorrigible bisounours, un affreux bobo écolo-gauchisant (l’humanisme n’a pour moi aucune couleur politique) ou un dangereux naïf qui ne comprend rien au monde, même si j’estime n’être rien de tout cela. Je pense tout simplement à mon ami syrien. Hussam aurait très bien pu se retrouver parmi les 530 réfugiés à Tournai. C’est pour moi une question non seulement d’humanité mais d’amitié.