Louvain-La-Neuve: « ville inhumaine aux hommes déjà froids, peut-être es-tu déjà futur? »

Mercredi, après une journée à Walibi, j’ai fait un détour en famille par Louvain-La-Neuve, où j’ai étudié la psychologie et le journalisme à la fin des années 80. J’y étais déjà retourné quelques fois, notamment pour rendre visite à ma filleule qui a aussi obtenu une licence en communication, mais cette fois, je n’ai presque pas reconnu la ville. Le soir tombé, je me suis presque perdu dans le quartier de l’Hocaille, où j’ai pourtant koté, ce qui a fait rire mes enfants.

Louvain-La-Neuve est une cité champignon. Là où s’étendaient des champs et des terrains vagues se dressent aujourd’hui des quartiers entiers ou de nouvelles facultés. Ce qui m’a frappé est le nombre de commerces qui n’existaient pas à mon époque: parfumerie, coiffure, vêtements, chaussures, jeux, musique, etc. Un complexe commercial est même sorti de terre juste à côté de la gare. Le nombre de bistrots et de restaurants a probablement doublé. On croise davantage de personnes âgées et d’enfants qu’il y a 25 ans.

J’avais le journalisme au fond de moi

L’atmosphère n’a par contre pas tellement changé. Une fois la nuit venue, particulièrement en automne, il y règne le même calme blafard, seulement interrompu par le pas pressé des étudiants qui résonne sur le pavé avant de s’évanouir, avec le vent, dans les ruelles aux contours moyenâgeux. J’ai retrouvé les mêmes odeurs de bière autour de la Grand-Place, sans doute les effluves restantes des dernières 24h. J’avais choisi la crêperie bretonne pour nous restaurer. Je n’ai pas retrouvé le goût des milkshake d’autrefois, mais le mobilier, des grosses chaises et des solides tables de bois, était le même. J’ai ressenti la même chaleur qui s’emparait de moi lorsque je poussais la porte avec mes amis. Je n’étais pas nostalgique, car j’ai senti dès la fin de mes études que j’avais fait mon temps à Louvain-La-Neuve, mais en croisant le regard de ma fille, j’ai eu le sentiment qu’un quart de siècle était passé dans un souffle.

jeunesse,avenir
Valentine et moi sur le site de l’université d’Harvard à Boston

 

Dans un peu moins de deux ans, si tout se passe bien, ce sera au tour de Valentine de fréquenter les bancs de l’université. Elle ne sait pas encore très bien ce qu’elle veut faire, mais elle est capable de tout faire. Capable de tout faire… Un prof de rhétorique m’avait dit exactement la même chose à la fin des mes humanités. Il pensait m’aider en m’adressant ce compliment, mais il avait ajouté à ma perplexité qui avait la profondeur d’un abîme. J’avais le journalisme au fond de moi, mais d’autres professeurs avaient introduit le doute dans mon esprit. Pas assez de débouchés. J’ai même commencé la Fucam à Mons, mais je me suis heureusement vite rendu compte, au bout d’un mois et demi, que j’étais tout sauf un ingénieur commercial. Quelle idée saugrenue était donc passée dans mon esprit à l’époque? Je n’ai toujours pas la réponse. Je me suis alors rabattu sur la psychologie à Louvain-La-Neuve, car j’estimais que les études étaient un joli compromis entre les sciences et la philosophie, deux matières qui m’attiraient.

Brebis perdues cherchent un souffle de vie

Mes premiers mois à Louvain-La-Neuve ne furent pas simples. Mon premier kot, que ma mère et moi avions trouvé en dernière minute alors que l’année académique était déjà bien entamée, était sinistre. J’entends encore le vent s’engouffrer entre les toits où se lovait ma chambre. L’automne et l’hiver avaient été particulièrement pluvieux et sombres. J’avais le bourdon lorsque je me promenais le soir dans les ruelles. Et je n’étais pas très sûr d’avoir fait le bon choix avec mes études; j’adorais les cours, mais je ne me voyais pas vraiment en psychologue toute ma vie. J’ai d’ailleurs retrouvé ces jours-ci un texte que j’avais écrit en hiver 1985 et qui était assez explicite sur mon état d’esprit :

Ville morte au cœur de béton
Habille cette matinée de monotonie
Brebis perdues recherchent un souffle de vie
Ville cimetière sans pierre tombale
Enterre la lumière écarlate au plus profond de son antre
Où les départs sont résurrection
Où les chansons se veulent tard
Les troupeaux insipides partagent leur faim de soleil
Cette ville blême où se mêlent des gens trop ternes
Qui pleurent l’alcool de leurs illusions impures
Ville inhumaine aux hommes déjà froids…
Peut-être es-tu déjà Futur?

Le bourdon s’est envolé avec le printemps

Diantre, j’ai des frissons de sinistrose en le relisant. Heureusement le bourdon s’est envolé avec le printemps. Autant elle peut paraître sinistre sous la pluie, autant Louvain-La-Neuve est enchanteresse lorsque le soleil l’inonde. J’ai trouvé mes repères et mes repaires. J’ai retrouvé des amis des humanités, avec qui j’ai koté les années suivantes, et je m’en suis fait de nouveaux. Il y a eu les amours aussi avec leur cortège de bonheurs et de désillusions. En sept années, dont une très belle parenthèse de six mois à Aix-en-Provence, j’ai vécu dans le Brabant wallon de très beaux moments, avec aussi quelques excès, que la pudeur m’interdit ici de dévoiler. Les deux dernières ont été consacrées à ma licence en journalisme que mes parents m’ont autorisée à suivre après mon diplôme en psycho. J’étais, comme un chat, retombé sur mes pattes à propos de mon avenir. J’ai senti que l’écriture et l’information étaient ma voie sans renier la psychologie à laquelle je reviendrai peut-être un jour. Je ne regrette rien de mes années étudiantes, excepté que si c’était à refaire, je passerais une année supplémentaire à l’étranger pour apprendre l’anglais, l’espagnol ou le néerlandais.

C’est tout cela qui m’est revenu en mémoire dans la chaleur de la crêperie bretonne et en croisant le regard de ma fille. Ce sera bientôt le tour de Valentine. Qu’a-t-elle retenu de ce bref passage à Louvain-La-Neuve? Est-elle inquiète pour son avenir comme je l’étais à son âge? A-t-elle perçu une pointe de nostalgie dans mes yeux? Les discussions que nous avons eues par la suite m’ont plutôt rassuré. Mais c’est sur son blog que j’ai trouvé les réponses à mes questions. Voici le paragraphe où elle relate notre passage à Louvain-La-Neuve après le parc d’attraction:

 » Plus que deux ans! C’est drôle parce que j’essayais d’écouter les conversations et à chaque fois que j’arrivais à entendre quelque chose cela parlait de filles, de mecs ou de soirées! Ils sont étudiants mais avant tout jeunes… Alors oui, j’ai adoré les sensations fortes de Walibi mais je pense que j’ai encore plus apprécié l’ambiance de la cité universitaire. Entre sensations fortes et ambitions, deux choses très différentes qui finalement se complètent »…

Ma conclusion: vive la jeunesse!

PS : la photo de Valentine et moi a été prise à Boston, à l’université de Harvard, lors de nos vacances  2013 aux USA. « Mon rêve », dit-elle.

Publié par

carnet de bord de Daniel Foucart

Journaliste à Nord Eclair belge (Tournai et Mouscron) depuis 1991, passionné par l'actualité vue par le petit bout de la lorgnette. Et à bord : quelques tranches de vie.