« Mais ce n’est pas la vérité »

Il y a quelques semaines, j’ai été invité à suivre un candidat mouscronnois à l’enregistrement d’une émission de téléréalité à Bruxelles. Il s’agit d’exécuter un numéro de deux minutes (chant, danse, imitation, jonglerie, humour, etc) sur scène devant trois jurés qui décident si vous poursuivez l’aventure ou non pour devenir « le » nouveau talent belge. C’est un divertissement plutôt bien fait. Et j’ai pris du plaisir à regarder les quinze numéros de la session d’après-midi pour laquelle j’étais présent. Je ne peux pas dévoiler le résultat de l’imitateur de Mouscron, un garçon éminemment sympathique, car l’émission doit être diffusée en septembre.

J’ai entre les numéros parcouru les coulisses et  observé les artistes, pour la plupart des amateurs qui rêvent de l’inaccessible étoile, se préparer avant leur entrée en scène. L’équipe de télévision prépare aussi des capsules de présentation qui sont des mini-interviews des candidats, histoire d’en savoir plus sur chacun d’entre eux. J’ai été intrigué par une jeune fille qui ne devait pas avoir plus de 14 ou 15 ans. Elle était avec son chien, un border collie, avec lequel elle devait présenter un numéro de dressage. C’était pour elle l’heure d’enregistrement de la capsule de présentation. Le journaliste qui l’interrogeait semblait excédé. Ce n’était pas la première prise. Il lui demandait d’expliquer le coup de coeur qu’elle avait ressenti lorsqu’elle avait vu son chien pour la première fois. Mais, expliquait-elle, son border collie n’était pas son premier chien. Et que le coup de coeur, elle l’avait plutôt eu pour son premier animal, disparu depuis si j’ai bien compris. « Mais on s’en fout de ton premier chien », répondit en substance le journaliste. « Parle nous de ton chien actuel, comment et pourquoi il t’a donné envie de faire ce numéro ». « C’est mon premier chien qui…  » s’obstina-t-elle. Son interrogateur la coupa. Il n’en pouvait manifestement plus. Il n’avait pas la réponse qu’il voulait avoir. Il insista. « Mais ce n’est pas la vérité », s’énerva la gamine qui perdit complètement ses moyens.

C’est hélas une caractérisque de la téléréalité qui porte bien mal son nom. Tout est scénarisé. Et les candidats répondent à plusieurs profils prédéterminés par l’équipe de casting. Et surtout leur histoire, même personnelle, doit répondre à ce que les réalisateurs attendent quitte à travestir un peu, voire complètement, « la vérité ». Ce n’est pas une dérive propre à la téléréalité. Dans la presse, le phénomène existe : j’ai déjà entendu des responsables envoyer sur le terrain des journalistes avec des idées préconçues, avec un scénario préétabli. « Tu ne crois pas que la personne pourrait dire cela? » « Tu ne crois pas que pris comme ça, cela ferait une bonne image? » etc. Et si le « reporter » rapporte autre chose du terrain, c’est tout juste s’il ne se fait pas engueuler.

Je ne connais pas le résultat de la jeune fille avec son chien, car elle passait devant le jury à la session suivante, celle du soir. Mais pour son obstination dans la quête de la vérité, je lui accorde, à titre personnel, trois « oui »…

Publié par

carnet de bord de Daniel Foucart

Journaliste à Nord Eclair belge (Tournai et Mouscron) depuis 1991, passionné par l'actualité vue par le petit bout de la lorgnette. Et à bord : quelques tranches de vie.