Je l’avoue comme d’autres avoueraient probablement une maladie honteuse: j’ai eu Monseigneur André-Mutien Léonard comme professeur lorsque j’étais étudiant à l’Université (Catholique, oserais-je l’écrire) de Louvain. Et je vous dois un autre aveu coupable: j’ai plutôt un bon souvenir de celui qui est aujourd’hui cloué au pilori pour ses positions (j’ose encore) à propos des homosexuels.
J’ai suivi deux de ses cours: philosophie morale tout d’abord. Je vous l’assure: il n’a jamais dit ce qui était bien ou mal à propos des plaisirs de la chair. Celui qui n’était pas encore archevêque de Bruxelles-Malines était un excellent pédagogue, très drôle même. Et, exploit pour un prof qui donnait souvent cours tôt dans la matinée, il était rarement « brossé ». Il a réussi à rendre passionnant des philosophes comme Husserln, Merleau-Ponty, Kierkegaard, Bergson et évidemment Saint-Augustin, dont les lectures sont pour le néophyte plutôt indigestes. Comme je kotais dans le quartier du séminaire Saint-Paul, où il logeait, il m’arrivait de le suivre, à distance respectueuse, pour me rendre à l’auditoire où il dispensait ses cours. Dans les dédales de Louvain-la-Neuve, je le surprenais très souvent d’humeur guillerette (je n’ose pas écrire gaie). Il chantonnait toujours ce que je devinais être du grégorien. En tout cas, ce n’était pas du Johnny.
André-Mutien Léonard semblait vivre sa foi dans une joie constante. Et autre aveu pour le croyant sceptique que je suis: il parvenait à communiquer son enthousiasme lors des « Raisons de croire », le deuxième cours que j’ai suivi. Mais il m’a refroidi, si je puis dire, deux fois. Tout d’abord, lors de l’examen oral de philosophie morale: juste avant la première question, il avait glissé une petite médaille de la Sainte-Vierge pour m’inviter à prier avec lui. Avec le stress, je n’avais même pas compris le sens de sa demande. Même si je l’avais compris, j’aurais d’ailleurs refusé la prière. Je reste persuadé que si je l’avais acceptée, j’aurais obtenu trois à quatre points de plus pour une matière que je maîtrisais bien (grâce à lui d’ailleurs). J’ai dû me satisfaire d’un 13. Deuxième déception: le dernier cours de ses « Raisons de Croire » se terminait par une séance de questions réponses. Devant l’auditoire, je lui fis un aveu: la religion était à mes yeux une sorte de cercle avec un de mes pieds dedans et l’autre dehors. Dedans pour les messages d’espoir véhiculés par les Évangiles et dehors pour l’attitude intransigeante de l’Église. Sa réponse était tellement jésuitique que j’avais fini par oublier le sens premier de ma question qui, je le sentais bien au ton de sa voix, l’avait irrité. En gros, il me fit comprendre qu’il n’aimait pas les tièdes. On était pleinement dedans ou pleinement dehors. C’est sans doute pour cela qu’il n’était pas trop copain avec l’abbé Gabriel Ringlet, l’autre grande figure religieuse de l’UCL, qui aime flirter avec les milieux libres penseurs.
En dépit des deux anecdotes dont j’ai été victime et des mots malheureux qu’il a eus à l’égard des homosexuels, et que je dénonce avec force, c’est toujours l’image du pédagogue joyeux et enthousiaste qui dans mon esprit, prend le pas sur celle du religieux austère véhiculée par les médias. Je sais: vu l’anticléricalisme ambiant, cela ne fait pas très… catholique.
(1) chronique parue dans le Nord Eclair du 15 avril 2007