« A perdre la raison », le film de Joachim Lafosse sur l’affaire Geneviève Lhermitte, dont il dit s’être « librement » inspiré, vient de sortir au cinéma. J’éprouve plutôt de la sympathie pour l’actrice belge Emilie Dequenne, dont on dit qu’elle tient là le rôle de sa vie. J’adore l’acteur Niels Arestrup. Les critiques sur le long-métrage sont toutes dithyrambiques. Pourtant je ressens un profond malaise, même si a priori je n’aime pas condamner une oeuvre sans l’avoir vue. Je crois la démarche du réalisateur sincère. Je suis en faveur de la liberté artistique. Je suis pour qu’un artiste puisse revisiter un fait divers; cela donne des films magnifiques comme l’affaire Dominici. Mais en l’occurrence, fallait-il faire un film aussi tôt, cinq ans seulement après les faits? Je pense aux cinq enfants assassinés par leur mère bien sûr, mais aussi aux deux autres principales victimes, à savoir le papa Boucahid Moqadem et l’ami intime du couple, le docteur Schaar, sur qui tant de rumeurs et de sous-entendus ont circulé.
Joachim Lafosse reconnaît, dans ses interviews, avoir pris le parti de la mère. Faut-il rappeler que la justice n’a reconnu aucune circonstance atténuante à Geneviève Lhermitte, condamnée à la peine maximale. C’est une vérité, certes judiciaire mais qui blanchit le père et le médecin de tout soupçon de harcèlement moral, de négligence ou de violence intrafamiliale. Le film ne va-t-il pas relancer les rumeurs, les soupçons, même si le scénario initial a été édulcoré ? Même si le réalisateur dit ne pas vouloir faire d’amalgames, le grand public, à l’exception peut-être des spécialistes du cinéma et des intellectuels, fera le lien entre les trois protagonistes de l’affaire et les trois acteurs du film. Le père et le médecin ont le droit à l’oubli, surtout qu’eux, ils ne pourront jamais oublier la perte des cinq enfants. J’imagine leur douleur. Fallait-il en rajouter, si peu de temps après le drame? C’est pour toutes ces raisons que je n’irai pas voir le film. Et par pudeur.