Le mur de Berlin, mon mur des lamentations

Depuis, ma fille Valentine s’est rendue à Berlin. Moi pas encore. C’est elle qui a photographié ce qui reste aujourd’hui du mur.

Il y a 30 ans jour pour jour tombait le mur de Berlin. En 1989, je commençais mes études en communication et en journalisme après avoir bouclé celles de psycho. Je me souviens de l’engouement de la fac. Un moment historique. Un tournant dans l’histoire du XXème siècle. Quelques copains n’ont fait ni une ni deux. Ils ont embarqué dans une voiture avec quelques de vêtements de rechange et des sacs de couchage. Direction : Berlin. Pour vivre l’événement en direct. Pour saluer les jeunes venus de l’Est. Pour faire la fête, tout simplement. « Tu viens? » Je vois encore mon camarade de fac, la porte de la voiture entrouverte, m’inviter à prendre place à côté des autres. J’ai hésité, longuement. J’ai finalement refusé. A cause d’un travail à rendre, si je me souviens bien. Et d’une petite copine dont je ne voulais pas trop m’éloigner et qui a fini par me quitter un peu plus tard. Je m’en suis mordu les doigts. Je m’en suis voulu de ne pas avoir vécu cet instant historique dont je n’avais peut-être pas bien saisi toute la portée à l’époque. Aujourd’hui encore, je regrette.

« La pierre survit toujours à celui qui la cisèle, toujours à celui qui l’oublie.”

Didier le Pêcheur (les hommes immobiles)

Mes copains ont été sympas. Ils m’ont ramené un bout du mur. Un petit morceau qui devait faire 10 cm tout au plus et peser quelques grammes. Blanc et gris. Du béton. Du bête béton décomposé mais qui avait une valeur historique inestimable. Lorsque le week-end, je suis rentré à la maison, j’ai présenté mon bout de mur d’un air triomphant à mes parents. « Vous vous rendez compte ? Un morceau du mur de Berlin! » C’est à peu près les propos que j’ai dû leur tenir. Ils m’ont regardé, l’air de dire « hé alors, ce n’est qu’un morceau de gravats, un vulgaire caillou, du béton quoi » avant de reprendre leurs activités à la boulangerie familiale.

Mon morceau de béton, je l’ai déposé précieusement sur le buffet de la salle à manger. Son heure de gloire arrivera bien à un moment ou à un autre, me disais-je, mais en attendant, je l’ai bien mis en évidence, histoire que tout le monde voit ce bout… d’Histoire. Le week-end suivant, après une nouvelle semaine néo-louvaniste, je reviens à la maison. Je regarde le buffet. Plus de caillou, plus de morceau de béton, plus de bout d’histoire. Disparu, volatilisé. Mes parents : « ah, on ne sait pas ». Enquête menée, c’est la femme de ménage qui de passage en semaine a jeté mon bout d’Histoire à la poubelle. « Ah, j’ai cru qu’il s’agissait d’un morceau de pierre que quelqu’un avait ramassé dehors dans la cour et placé là en attendant ». Telles ont été à peu près ses explications. Je ne vous dis ma tête. Et ma déception. Je ne lui ai pas jeté… la pierre. Ni à elle, ni à mes parents d’ailleurs. Peut-être aurais-je dû être plus explicatif, plus disert, plus didactique. Ou, plus simplement, laisser le morceau du mur dans ma chambre à la maison ou dans mon kot à Louvain-La-Neuve.

“Les regrets éternels n’existent que sur la pierre.”

Tristan May, poète français

Je râle encore aujourd’hui. Les bouts de mur de Berlin s’échangent sur internet, même si je suis convaincu que je n’aurais pas revendu mon petit bout d’Histoire. Mais j’essaie de prendre les choses avec philosophie. De méditer sur la valeur qu’on peut donner aux objets. Ici, en l’occurrence, un vulgaire caillou pour mes parents et leur femme de ménage de l’époque. Et une pièce inestimable de l’histoire contemporaine pour l’étudiant que j’étais. C’est autant valable pour l’art que pour mon morceau de béton, je pense. Tout dépend du sens qu’on leur donne, que l’être humain leur donne. Trêve de philosophie. Je m’égare sans doute. Quoique, si je peux apporter ma petite pierre…

Publié par

carnet de bord de Daniel Foucart

Journaliste à Nord Eclair belge (Tournai et Mouscron) depuis 1991, passionné par l'actualité vue par le petit bout de la lorgnette. Et à bord : quelques tranches de vie.

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