L’Association des Journalistes Professionnels (AJP) de Belgique m’a demandé d’écrire un billet d’humeur après l’agression dont j’ai été la victime le lundi 20 juillet à la rédaction de Nord Eclair Mouscron. Le texte est paru, au cours de ce mois de septembre, dans « Journalistes », le bulletin mensuel de l’AJP. Je le mets en ligne sur mon blog afin de le faire partager à ceux qui ne sont pas journalistes. Précision importante à l’égard de mes collègues et confrères qui ont appris mon agression dans le mensuel et qui se sont gentiment inquiétés : je vais mieux, même si je ne tourne pas la page de ma mésaventure aussi facilement que celle d’un journal.
En 24 ans de carrière en presse régionale, jamais je n’ai pensé me faire agresser pour un article paru dans le journal. L’inattendu s’est pourtant produit le lundi 20 juillet, en fin d’après-midi, à la rédaction de Nord Eclair Mouscron. L’agresseur n’était pas un inconnu. Il s’était déjà présenté au bureau quelques semaines auparavant pour nous reprocher de l’avoir « sali »en publiant le nom de son fils qui avait tiré, à plusieurs reprises, sur des bus en face de la gare. L’affaire méritait un large développement : elle rappelait l’histoire du « tireur fou » qui avait défrayé la chronique de la cité des Hurlus au début des années 90. Par le dialogue, j’avais réussi à raisonner le père qui avait tapé violemment du poing sur le bureau d’une jeune collègue. Avant de partir, il a même remercié les journalistes présents de lui avoir permis « d’exprimer sa colère ».
Lorsqu’il est revenu à la rédaction, le lendemain de la parution du jugement du tribunal correctionnel qui a condamné son fils à 18 mois de prison, il n’a cette fois rien voulu entendre. Cet ancien para-commando et ex-vigile s’est précipité sur moi pour me balancer son poing dans la figure et m’écraser sur la tête tout ce qu’il avait sous la main. Je dois mon salut au dessous de mon bureau par où je me suis échappé pour gagner la cour intérieure. Mon agresseur a encore essayé de m’atteindre en tentant de défoncer la porte vitrée qui nous séparait. La scène a duré environ dix minutes. Bilan: un point de suture à la tête, des ecchymoses à la mâchoire et sur le torse ainsi que des éraflures aux jambes. Mais surtout, une énorme frayeur, quelques nuits blanches et des flash-back réguliers où je revois le poing de mon agresseur, doté d’une chevalière, fondre sur mon visage.
Mon collègue qui était avec moi a eu le bon réflexe : prévenir immédiatement la police. Laquelle était plus inquiète de savoir si nous allions faire un nouvel article sur l’affaire que de mon état de santé lorsqu’elle est venue me voir à l’hôpital, où j’étais allongé sur une civière, la nuque immobilisée par une minerve. C’est là, dans le couloir des urgences, que les deux agents m’ont appris que le fils s’était suicidé en prison, le lendemain de la condamnation, ce que nous ne savions pas. Cela peut expliquer la violence du père, mais cela ne l’excuse pas pour autant. J’ai maintenu ma plainte. Je ne veux pas en faire trop, mais je ne veux pas non plus minimiser l’événement. Ironie de l’histoire : je n’ai écrit aucun des articles à l’origine de l’agression. Il n’y avait rien à redire, je tiens à le préciser, au travail de mes collègues sur le plan déontologique.
Jusqu’alors, je pensais que seuls les reporters de guerre et les caricaturistes prenaient des risques en travaillant. Le métier de journaliste n’a plus vraiment la cote auprès du grand public. « Personne n’aime le messager porteur de mauvaises nouvelles », peut-on entendre dans « Antigone », la tragédie grecque de Sophocle. J’ai le sentiment qu’on est monté d’un cran: on peut « tuer » le messager, comme le faisaient déjà, paraît-il, les rois dans l’Antiquité. Ou du moins le frapper.

Grâce au soutien de la direction de Sudpresse, très attentive, et à la bienveillance de mes collègues, je finirai par tourner la page. Mais ce qui me fait le plus mal dans cette affaire est que depuis mon agression, la porte de la rédaction est fermée à clef. C’était une tradition à Nord Eclair, journal de proximité, « le » journal de la place à Mouscron : on rentrait à la rédaction comme à la maison. Pour un abonnement, une photo ou un journal, mais surtout pour raconter les derniers potins de la cité des Hurlus. Une source précieuse d’informations, à vérifier évidemment. Et de belles rencontres. Dorénavant, il faut frapper à la porte pour rencontrer un journaliste. Et on l’ouvre avec un peu de méfiance.
Je comprends la mesure de précaution. Je la soutiens. Mais si quelqu’un m’avait dit il y a 24 ans qu’un jour, je devrai m’enfermer pour me protéger des lecteurs, je l’aurais pris pour un fou…
Incroyable Daniel! Bien sûr, je suis de tout coeur avec toi et, comme tu le rappelles si bien « Personne n’aime le messager porteur de mauvaises nouvelles » Mais alors lorsque l’on agresse un journaliste qui n’a pas écrit ce qu’on lui reproche, c’est à se demander où l’on va.. Nous vivons décidément une drôle de période. Où sont les bons moments d’antan? Je souhaite que tu te remettes le plus vite possible et que tu finisses par oublier, si c’est possible. Toute mon amitié Daniel.
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La violence gratuite et souvent impunie est malheureusement de plus en plus présente dans notre quotidien. Je te comprends car moi aussi victime par deux fois de gars armés sans avoir eu l’impression de mériter pareil traitement, il a fallu encaisser le coup. Tu as bien eu raison de porter plainte et de persister dans ta décision. Il ne faut jamais hésiter à s’adresser à la justice même si les sanctions sont souvent minimes ou inexistantes. Rien n’explique ni n’excuse un tel comportement. Courage à toi, le temps efface peu à peu ces mauvais souvenirs. Il faut prendre ses précautions à tout moment, pas d’autre choix.
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Je ne savais pas. De tout coeur avec toi mais dans quel monde vit-on ! Certains métiers deviennent vraiment à risque. En juin 2014, je m’étais fait agresser très violemment verbalement en pleine réunion de parents de fin d’année par une mère qui m’a claqué au visage le bulletin de sa fille qui avait raté son année. Jusqu’à présent, je n’ai jamais eu de coups mais ton expérience me fait frémir… Plus personne n’est à l’abri. Garde le moral surtout, ta famille en a besoin.
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Mon cher Daniel,
j’ignorais cette abominable agression.
Je comprends ton angoisse et ta rage face à une telle violence alors que tu n’as fait qu’exercer ton devoir d’informer.
C’est grave pour la profession.
Je te souhaite de tout coeur de surmonter cette épreuve et de retrouver la sérénité.
Et de continuer à écrire et dire la vérité.
Bon courage
Amitiés confraternelles
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Merci Edgard pour ton soutien. Je te reconnais bien là. A très bientôt.
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Merci aussi Thierry. Je comprends ce que tu ressens depuis.
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Merci Carole pour ton petit mot. Hélas la violence est partout maintenant même dans des lieux de savoir comme l’école. Bien à toi
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Merci Manu. Les soutiens comme le tien m’aident à surmonter cette épreuve. Ecrire aussi. Bien à toi.
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